Titre de séjour facilité pour les métiers en tension : quels enjeux ?

Le gouvernement présentera en décembre prochain son projet de loi sur l’asile et l’immigration qui devra être examiné au Sénat à partir de janvier. Parmi les propositions, figure un titre de séjour facilité pour les « métiers en tension ». La dernière liste des métiers en tension a été publiée en 2021 dans le Journal officiel , alors qu’elle n’avait pas été mise à jour depuis 2008. Voici les changements attendus.

Des titres de séjours facilités pour les métiers en tension 

La loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile a introduit une disposition législative qui autorise l’introduction d’un travailleur étranger en France dans des métiers en tension sans que puisse lui être opposée la situation de l’emploi. Cette mesure avait initialement pour objectif d’augmenter le flux de l’immigration professionnelle au regard de l’immigration familiale.

Le gouvernement souhaite désormais simplifier les formalités pour obtenir une autorisation de travail. Il souhaite également élargir la liste des métiers en tension, après concertation avec les partenaires sociaux en novembre, afin de coller au plus près des besoins des entreprises.

« Nous souhaitons, tout particulièrement dans les métiers en tension, comme ceux du bâtiment, que le travailleur immigré en situation irrégulière puisse solliciter la possibilité de rester sur le territoire sans passer par l’employeur. Cela permettra d’inverser le rapport de force avec quelques employeurs qui peuvent trouver un intérêt à ce que leurs salariés soient dans une situation d’illégalité. »  a expliqué Olivier Dussopt auprès du Monde

L’immigration professionnelle choisie pour les métiers en tension, c’est quoi ?

L’histoire de l’immigration professionnelle choisie ne date pas d’hier. Le critère de la situation de l’emploi est le principal critère retenu par les autorités, à savoir le préfet qui prend la décision d’attribuer ou de refuser une autorisation de travail. L’analyse de la situation de l’emploi avant attribution d’un titre de séjour a été mise en place en 1974 pour protéger le marché du travail national.

Le critère de la situation de l’emploi

Depuis 1974, l’analyse de ce critère repose sur deux outils : le taux de tension pour le métier considéré (rapport entre l’offre et la demande) et les recherches préalables de candidats effectuées par l’employeur.  Avant 2006, les services administratifs concernés disposaient d’un outil statistique fourni par l’ANPE (ex-Pôle emploi), actualisé tous les trois mois et faisant état, région par région, des taux de chômage (indicateur de tension notamment) pour chacun des 466 emplois listés dans le répertoire opérationnel des métiers et des emplois (Rome). En revanche, les services de l’Etat pouvaient refuser l’autorisation de travail si l’entreprise ne respecte pas la législation sociale ou souhaite recruter une personne ne justifiant pas des compétences, des qualifications ou des diplômes pour occuper le poste pressenti. 

Les objectifs des listes de métiers ouvrant droit à autorisation de travail

La  politique d’immigration professionnelle choisie a été mise en place dès 2006. Avec deux objectifs :

  • Augmenter les volumes de l’immigration de travail, choisie et favorisée, au détriment de l’immigration familiale, dont les flux jugés trop importants devaient être sensiblement réduits, 
  • Mettre fin aux pratiques des services de main-d’œuvre étrangère des directions départementales du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP), devenues Directions de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DEETS), accusés d’entraver l’immigration de travail par des contrôles tatillons et injustifiés et par des délais d’instruction trop longs.

En 2008, l’établissement de la première liste des métiers en tension offrant droit à un titre de séjour permet en quelque sorte d’automatiser la procédure. Les étrangers qui sont recrutés pour une activité professionnelle salariée pour un métier figurant sur une liste établie au plan national, ne peuvent se voir opposer le critère de la situation de l’emploi pour refuser leur demande d’autorisation de travail.

La liste des métiers en tension de 2021

Cette première liste des métiers donnant droit à autorisation de travail, sans opposition de la situation de l’emploi a été validée par arrêté du 18 janvier 2008.

Elle n’a pas été actualisée jusqu’en 2021, ce qui a entravé son efficacité pour résoudre les problématiques de recrutement sur le marché du travail, qui ont largement évolué entre 2008 et 2020. Indirectement, cela a pu produire des effets d’aubaine de la part des entreprises qui déposaient des demandes visant abusivement l’un de ces métiers pour obtenir l’autorisation de travail. Ainsi beaucoup de demandes pour des chefs de chantier… payés au SMIC ont été déposées.

En 2021, une nouvelle liste de 30 métiers en tension a été élaborée :

  1. Technicien en mécanique et travail des métaux
  2. Dessinateur en électricité et en électronique
  3. Régleur
  4. Ingénieur et cadre d’étude, recherche et développement en informatique, chef de projets informatiques
  5. Ingénieur du bâtiment et des travaux publics, chef de chantier et conducteur de travaux (cadres)
  6. Géomètre
  7. Couvreur
  8. Technicien en électricité et en électronique
  9. Chef de chantier, conducteur de travaux (non-cadres)
  10. Tuyauteur
  11. Agent qualifié de traitement thermique et de surface
  12. Infirmier
  13. Charpentier (bois)
  14. Dessinateur en bâtiment et en travaux publics
  15. Technicien expert
  16. Technicien des services comptables et financiers
  17. Ouvrier qualifié travaillant par enlèvement de métal
  18. Agent de maîtrise et assimilé en fabrication mécanique
  19. Technicien et agent de maîtrise de la maintenance et de l’environnement
  20. Technicien et chargé d’études du bâtiment et des travaux publics
  21. Dessinateur en mécanique et travail des métaux
  22. Carrossier automobile
  23. Ouvrier qualifié de la maintenance en mécanique
  24. Ingénieur et cadre des télécommunications
  25. Mécanicien et électronicien de véhicules
  26. Charpentier (métal)
  27. Plombier, chauffagiste
  28. Agent de maîtrise et assimilé des industries de process
  29. Chaudronnier, tôlier, traceur, serrurier, métallier, forgeron
  30. Menuisier et ouvrier de l’agencement et de l’isolation

La liste des métiers en tension sera révisée début 2023. Le BTP, les services à la personne, la restauration devraient y figurer en bonne place si l’on en juge les tendances via les outils pour analyser les tendances de l’emploi.

Avantages et les limites de l’approche adéquationniste des tensions de recrutement (et de l’immigration)

Comme le souligne une etude réalisée par le Point de contact français du Réseau européen des migrations (REM) en 2015 intitulée “déterminer les pénuries de main-d’œuvre et les besoins de migration économique”,  il est important de distinguer plusieurs types de difficultés de recrutement rencontrées par les employeurs.

Répondre à la pénurie de main d’oeuvre

La pénurie de main-d’œuvre correspond à une absence quantitative d’offre de main-d’œuvre face à la demande. Le métier en tension souligne une difficulté de recrutement rencontrée par l’employeur alors que l’offre de main-d’œuvre est présente mais difficilement mobilisable à un moment donné. Les facteurs de tensions sont divers et variés :  manque de mobilité, inadéquation des qualifications, turn-over ou déficit d’attractivité de certains métiers.

Certains secteurs font face aujourd’hui à une pyramide des âges vieillissante des professionnels en emploi et à une explosion de la demande, comme c’est le cas des Service à la Personne et de la Santé. Pour les métiers concernés, la facilitation des titres de séjours répond à une véritable pénurie. A titre d’exemple, 23 000 médecins étrangers exercent dans l’Hexagone, un peu moins de la moitié détient un diplôme européen, les autres viennent de pays extra-européens, généralement du Maghreb ou de l’Afrique subsaharienne. 

Pallier un déficit d’attractivité des métiers 

En revanche, la démarche a ses limites lorsqu’il s’agit de pallier un déficit d’attractivité des métiers. Selon une étude de la DARES de 2021, les immigrés se concentrent majoritairement dans des professions peu attractives « liées à des contraintes physiques, des limitations physiques, des contraintes de rythme, du travail répétitif, des périodes de travail durant les jours non ouvrables ou en dehors des plages de travail habituelles et un morcellement des journées de travail ». 

Faciliter les titres de séjours sur ces métiers, sans demander aucune contrepartie aux employeurs revient à déplacer le problème sur les populations les plus vulnérables, sans régler les questions d’attractivité des métiers à long termes par une revalorisation des salaires ou une évolution des conditions de travail.

Plus les conditions de travail sont difficiles et plus la tension de recrutement est élevée, plus forte est la probabilité que l’emploi soit occupé par un immigré”, souligne l’étude de la DARES.  

Construire des parcours d’insertion

Selon une recherche sur le pouvoir normatif des politiques publiques sur les trajectoires professionnelles des immigrés, menée en 2011 Anna-Lisa Lendaro, sociologue au Laboratoire d’économie et de Sociologie du Travail, il faut aussi tenir compte de la réalité des parcours professionnels des travailleurs immigrés. Les politiques publiques “affectent un statut juridique aux personnes (demandeur d’emploi, primo-arrivant, jeune sans qualification, etc.) qui ouvre droit à des services, à des allocations et à diverses autres formes de soutien, et qui dans le même temps, excluent les non-éligibles”. 

Malgré ces statuts en silo, qui peuvent conduire à des impasses administratives (passage d’un titre de séjour étudiant à une autorisation de travail), les acteurs intermédiaires sur le marché du travail (entreprises, branches, intermédiaires de l’emploi) ont un rôle à jouer pour fluidifier au mieux les parcours professionnels des travailleurs immigrés. La chercheuse en sociologie montre qu’au-delà des contraintes administratives nationales, la réalité est faite d’ajustements et d’arrangements liés au fonctionnement du marché du travail local.

En France, un emploi sur dix est occupé par un immigré, c’est-à-dire une personne née à l’étranger, ayant acquis ou non la nationalité française.

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